Toilettes de la ville de Paris
Au pied de l’écrasant Sacré Cœur,
11 femmes inépuisables se battent
« pour le droit et la dignité »

En se défendant, les 11 “dames pipi” de la Ville de Paris défendent la convention collective nationale des entreprises de propreté qui couvre 460 000 employés.

Un reportage d'Evelyne Salamero
Photographies : Clarisse Josselin, Frédéric Blanc

«On attend un résultat positif. On tient le coup. On n’a pas le choix. Le nouveau patron ne veut pas renouveler notre contrat».

Gabrielle a 62 ans. Tous les jours depuis un mois, elle vient du Blanc Mesnil en Seine-Saint-Denis pour occuper son lieu de travail, les toilettes de la Ville de Paris situées aux abords du Sacré Cœur, sur la butte Montmartre, au 1 rue Lamarck, dans le 18ème arrondissement. Ou manifester devant le site, puisque les locaux ont depuis quelques jours été fermés sur ordre des autorités.


Le 30 juin dernier, aux alentours de 18 heures, comme ses collègues, Gabrielle a reçu un simple coup de téléphone de la société néerlandaise, 2Theloo, le nouveau prestataire auquel la ville de Paris, propriétaire des murs, venait de céder le marché de la gestion des toilettes de la capitale. Juste quelques mots - «ce n’est pas la peine de venir travailler demain, vous avez 24 heures pour récupérer vos affaires, on vous tiendra au courant pour la suite »- et leur vie a basculé. Du jour au lendemain, après des années, dix, vingt, vingt-neuf pour certaines, de bons et loyaux services, elles se retrouvent à la porte, « jetées comme des malpropres ».

La société 2Theloo veut ainsi échapper à la convention collective des entreprises de propreté et au Code du travail qui obligent un nouveau prestataire à reprendre les employés de l’ancien aux mêmes conditions (salaires, ancienneté, temps de travail…).

Cette entreprise exploite 150 toilettes, qu’elle veut « haut de gamme », dans 14 pays. A Paris, à raison de 0.80 centimes d’euros par entrée, elle peut espérer réaliser un gain de plus de 3 000 euros par jour, 365 jours par an, soit plus d'un million d’euros par an. Mais ce n’est à son goût visiblement pas encore assez pour payer 11 femmes au SMIC…


« Ils nous ont juste téléphoné ! Ils n’ont pas le droit d’agir ainsi. Ils auraient dû au moins nous envoyer une convocation écrite, avec accusé de réception, pour un entretien, pour qu’on puisse venir accompagnées». Fan, qui n’osait pas parler jusque-là, ne peut pas s’empêcher de réagir.

Les autres organisations syndicales sont, à l’instar de FO, partie prenante dans la procédure aux prud’hommes que 8 des 11 salariées ont intentée. Mais visiblement, les salariés attendent aussi beaucoup du soutien à leur action collective.

« On vient tous les jours et on va continuer ainsi. Nos “petits maris” sont là du soir au matin, alors on ne va pas les laisser tous seuls ! », plaisante Marie, 59 ans, de Pantin.
Les « petits maris », ce sont les délégués FO et des dizaines de collègues des autres sociétés de nettoyage de la région parisienne, et en particulier de la société STEM , ancien prestataire avant 2Theloo où FO est majoritaire, qui tous les jours sans relâche viennent les soutenir de leur présence. L’intendance (nourriture, boissons, sièges..) est assurée par le syndicat FO mais aussi par quelques riverains, qui, hormis quelques râleurs invétérés, tiennent à marquer leur solidarité, malgré le bruit et l’agitation que la mobilisation peut parfois occasionner sous leurs fenêtres !

Marie a les traits tirés : «Oui, aujourd’hui je suis très fatiguée. Si on peut encore gagner ? Bien sûr. C’est de la loi qu’il est question, de la loi française. Et ici on est en France. Il suffit de faire appliquer la loi. J’ai trois enfants encore à ma charge, dont deux à l’université. C’est pour eux que je fais grève. Je pourrais rester au chômage et faire des formations, jusqu’à la retraite. Mais je veux leur montrer qu’un être humain doit travailler pour être indépendant ».

Même la venue de trois cars de CRS il y a quelques jours ne les a pas découragées : « Au début, ça nous a mis un coup au moral. On a failli s’énerver, alors que depuis le début nous manifestons pacifiquement. Et puis on a discuté entre nous, on s’est calmé. On a battu le rappel et quelques heures après, on était deux fois plus nombreux », raconte Salmi Samir, délégué syndical central FO de l’entreprise de nettoyage Sud service (groupe Nicollin).

Il y a deux semaines, la Mairie de Paris avait proposé que la société 2Theloo ne reprenne que la moitié des salariées et que les autres restent employées du précédent prestataire, la STEM. Mais 2Theloo a persisté dans son refus d’appliquer les avantages acquis des personnels. « A partir de là la discussion était close, explique Salmi Samir . Ils violaient encore une fois la convention collective. Il faut bien comprendre que le problème est national. La société 2Theloo a répondu à des appels d’offre sur tout le territoire et d’autres patrons sont à l’affût de ce qui va se passer ici. Si on laisse 2Theloo ouvrir cette brèche, ils vont s’engouffrer dedans. On a déjà des cas de tentatives similaires à Lille, Marseille…C’est la convention collective nationale qui est attaquée. Si il le faut, nous mobiliserons nationalement ».

Visiblement, non seulement la motivation ne faiblit pas mais elle s’intensifie.
« Bien sûr que je continue ! nous dit Fan. Mes collègues continuent, je continue. »

La manifestation de solidarité à l’appel de la fédération FO (Equipement, environnement, transports et services, FEETS FO) et la venue de Jean-Claude Mailly, le Secrétaire général de la confédération FO à cette occasion, ont été attendues et préparées avec impatience.

« C’est génial ! On a quelqu’un qui nous écoute, qui nous soutient !» , s’exclame Awan Be (65 ans).

« Le soutien de la confédération, la venue de Jean-Claude Mailly, ça nous donne du courage, conclut Salmi Samir. Maintenant la question est simple. Si 2Thello ne respecte pas le droit du travail français. La Mairie de Paris doit rompre le contrat ».

Un reportage d'Evelyne Salamero
Photographies : Frédéric Blanc, Clarisse Josselin
Mise en page : Mathieu Lapprand

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