Harcèlement sexuel au travail, la majorité des employeurs ignore la loi

Omerta par Nadia Djabali

Malgré la récente libération de la parole, le harcèlement sexuel au travail est toujours l’objet d’une omerta. De nombreuses victimes sont sanctionnées lorsqu’elles osent se confier à leur employeur. Le Défenseur des droits lance une campagne de sensibilisation pour faire abaisser le seuil de tolérance sociale de ce phénomène.

Elle est brigadière de police. En 2015, responsable d’un poste de police, elle a été agressée sexuellement par un de ses subordonnés. Après avoir dénoncé les faits auprès de sa hiérarchie et après un burn-out, elle a repris le travail en mi-temps thérapeutique. Elle a été mutée dans un autre service, son agresseur a aussi été muté dans un bureau... dans le même couloir.

Elle a également mis en cause un capitaine de Police qui a protégé l’agresseur et qui lui-même avait un comportement inapproprié avec des adjointes de sécurité (non titulaires).

Une enquête administrative a reconnu cette femme en tant que victime. L’IGPN a réussi à obtenir des témoignages. Un procès doit avoir lieu. Malgré cela, la brigadière ne récupérera pas sa place de responsable du poste de police ou si elle doit la récupérer, elle devra travailler avec le capitaine de police qui a couvert les faits et qui ne sera pas sanctionné car aucune plainte n’a été déposée contre lui.

Des moyens très modestes

Ce témoignage, on a pu l’entendre lors d’une matinée thématique organisée par le Défenseur des droits et consacrée au harcèlement sexuel au travail. Nous venons de loin, a martelé Jacques Toubon, le Défenseur des droits. C’est pour cela qu’il faut agir très fort. Pourtant les moyens alloués à la lutte contre le harcèlement au travail sont plus que modestes. Je voudrais que l’État, le ministère du Travail, le secrétariat à l’Égalité, le ministère de la Justice, lancent une campagne, a-t-il ajouté avant de rappeler que la lutte contre le harcèlement passe par la lutte contre les inégalités sociales.

Car les chiffres sont là et si le harcèlement touche tous les milieux sociaux ce sont surtout les femmes en emploi précaire qui sont concernées. Une femme active sur cinq dit avoir été confrontée à une situation de harcèlement sexuel au travail et 20 % des Français déclarent connaître au moins une personne victime de harcèlement au travail. Et quand les victimes se tournent vers la justice, la quasi-totalité des plaintes (94 %) sont classées sans suite.

L’obligation de sécurité des employeurs

Côté employeurs, une étude commandée en 2014 par le Défenseur des droits constate que seuls 18 % d’entre eux ont mis en place des actions de prévention. Des dispositifs quasi inexistants dans les TPE. Or tout employeur, public ou privé, a une obligation de sécurité envers ses salariés. Il doit mettre en place auprès de ses salariés une politique de prévention contre les agissements de harcèlement sexuel. L’employeur doit par ailleurs réagir lorsqu’il a connaissance de tels faits. Notamment, il doit immédiatement mettre en place une enquête impartiale et sérieuse. Et enfin, il doit sanctionner si le harcèlement est avéré.

L’État employeur est loin d’être exemplaire en matière de lutte et de protection. Dans la fonction publique, l’administration accorde assez rarement aux victimes la protection fonctionnelle qui offre aux agents une assistance juridique et la réparation des préjudices subis.

Représailles professionnelles

L’employeur ne respecte pas son obligation de sécurité, s’il ne réagit pas ou ne met pas en place un dispositif de prévention. Dans un tel contexte, la formation des salariés est essentielle. Or dans les grandes entreprises, les DRH sont formés mais les salariés qui travaillent sur le terrain le sont beaucoup moins. Or c’est sur le terrain que se produisent le plus souvent ces faits. Il faudrait une formation descendante de toute la ligne managériale, préconise Sandra Bouchon, juriste auprès du Défenseur des droits.

La loi souffre d’un manque de moyens pour être effective. 40% des femmes qui osent dénoncer des faits de harcèlement sexuel subissent des représailles professionnelles. Elles sont mutées, changent de postes, parfois avec des salaires moindres ou sont tout simplement licenciées.

Six mois de salaire

À quoi est exposé l’employeur devant les juridictions sociales ? interroge une avocate au cours de l’échange organisé avec la salle. À payer six mois de salaire brut. Je vous laisse imaginer la somme lorsqu’il s’agit de salariées à temps partiel payées au Smic. Six mois cela veut dire entre 5 000 et 10 000 euros.

Autre exemple, celui des enregistrements clandestins effectués par des femmes qui tentent de prouver la véracité de leurs dires. Ils sont recevables au pénal mais non retenus comme preuve par les juridictions civiles, notamment les prud’hommes

Le Défenseur des droits qui vient de lancer une campagne de communication sur ce sujet a rendu fin janvier un avis préconisant 15 mesures. Parmi celles-ci : mise en place de nouvelles études ; harmonisation des définitions légales du phénomène qui doit conduire à considérer qu’un fait unique peut suffire pour le caractériser ; L’extension aux entreprises privées de la production de « fiches réflexes » sur la conduite à tenir dans les situations de harcèlement sexuel.

À l’instar de l’association européenne des violences faites aux femmes (AVFT), le Défenseur des droits prône le passage à 12 mois du montant de l’indemnité « plancher » pour tout salarié licencié en raison d’un motif discriminatoire ou à la suite d’un harcèlement (contre 6 mois actuellement).

Pour aller plus loin : Force Ouvrière a publié une plaquette d’information intitulée La lutte contre les violences sexistes et sexuelles au travail.

 Voir en ligne  : Plaquette d’information : La lutte contre les violences sexistes et sexuelles au travail (PDF)

Nadia Djabali Journaliste à L’inFO militante