Deux mois de grève à la Caixa Geral de Depositos : au cœur du conflit, les revendications, mais aussi le droit de grève et de négociation

Banques par Evelyne Salamero, FEC FO

Photographie : F. Blanc (CC BY-NC 2.0)

En grève depuis le 17 avril, ils manifestaient encore devant l’ambassade du Portugal ce vendredi 15 juin. Les salariés de la succursale française de la banque publique portugaise, soutenus par FO et la CFTC, ne désarment pas et espèrent que la nomination d’un médiateur va permettre que s’ouvre enfin une véritable négociation.

Les salariés de la succursale française de la banque publique Portugaise, la Gaixa Geral de Depositos sont maintenant en grève depuis plus de deux mois, avec le soutien de la confédération FO, de la fédération FO des employés et Cadres et de l’Union départementale FO de Paris, pour la sauvegarde des 540 emplois menacés par un plan de restructuration négocié entre l’État portugais et Bruxelles, pour la défense de leurs salaires et celle de leurs conditions de travail.

En plus de ces revendications de départ, ils doivent aussi se battre pour le respect du droit de grève et de négociation, confrontés à une direction qui refuse de négocier avec la commission élue par les grévistes (dont les responsables FO et CFTC font partie).

Saisi par la direction de l’entreprise pour abus du droit de grève, le Tribunal de grande instance de Paris a désigné un médiateur ce 14 avril, répondant ainsi favorablement à la proposition des avocats des syndicats FO et CFTC et du comité d’entreprise qui ont souligné que les salariés en grève depuis plus de huit semaines souhaitaient pouvoir négocier et en finir avec le conflit le plus rapidement possible.

De son côté, le Comité d’entreprise a, lui, assigné la direction dans le cadre du droit d’alerte, l’employeur refusant de lui transmettre le document du plan de restructuration, alors que Bruxelles a pourtant autorisé sa publication. Sur ce point, le jugement sera rendu le 26 avril.

La genèse de la grève

En mars 2017, la banque publique portugaise annonce la mise en place d’un plan de restructuration négocié avec la Commission européenne, en échange d’une autorisation pour l’État portugais de recapitaliser la banque fortement endettée.

Selon plusieurs sources officielles et institutionnelles, ce plan, outre 2 000 suppressions d’emplois au Portugal d’ici 2020 via la fermeture de 200 agences, prévoirait également l’aliénation de la succursale de France. Mais, en violation de la législation française, à aucun moment, le document de ce plan de restructuration n’a été transmis aux instances représentatives du personnel de la succursale

En revanche, certaines de ses activités, comme les activités internationales, ont été transférées au Portugal, ce qui n’a fait qu’augmenter les inquiétudes déjà grandissantes des salariés concernant l’avenir de la succursale et de ses 540 emplois.

La première revendication des grévistes est donc que la Banque s’engage à remettre au comité d’entreprise et/ ou à l’expert du comité le plan de restructuration (Plano Industrial) présenté par l’État portugais à la Commission européenne […] et plus généralement les documents demandés par l’expert-comptable du Comité d’entreprise, désigné dans le cadre de la procédure du droit d’alerte.

Une direction dangereusement obstinée

À ce jour, la direction se refuse toujours à transmettre le plan de restructuration, allant jusqu’à déclarer qu’elle ne l’a pas et que de toutes les façons, même si l’aliénation de la succursale française avait en effet été envisagée, ce n’est maintenant plus le cas…

Mais alors, rétorquent les syndicats engagés dans la grève, FO et CFTC, pourquoi la direction, au-delà de ses allégations verbales, refuse-t-elle de fournir le document, ce qui permettrait d’avancer vers une fin de conflit ? Pourquoi refuse-t-elle d’apporter des garanties écrites sur le maintien de l’emploi et sur les conditions de licenciement si elle sait déjà qu’il n’y aura aucune aliénation de l’entreprise et donc pas de licenciements ? De fait, dès lors les précautions demandées par les grévistes ne s’appliqueraient pas et n’auraient par conséquent aucun impact financier pour la Banque …

Révélateur : l’entreprise n’a pas encore procédé à la négociation annuelle obligatoire (NAO) qui aurait dû débuter en janvier

De plus, face à la dégradation de leurs conditions de travail avec de plus en plus d’heures supplémentaires impayées, les salariés et leurs syndicats demandent notamment que, dans le respect des accords déjà existants, tout salarié soit libre d’effectuer ou de refuser d’effectuer des heures supplémentaires et que toute heure supplémentaire effectuée soit réglée sous forme de salaire ou de récupération.

Enfin, la direction n’ayant pas même procédé à la NAO (négociation annuelle obligatoire) qui aurait dû débuter en janvier dernier et n’ayant pas distribué les montants prévus pour le mérite correspondant aux exercices 2016 et 2017, les salariés revendiquent aussi une augmentation générale salariale pour 2018 et un rattrapage pour les deux années précédentes. Nous avons fait le calcul : ce que nous demandons représente à peine 2% des bénéfices réalisés ces deux dernières années par notre succursale et transférés au Portugal explique Manuela Dos Santos, délégué syndicale FO.

Pourquoi les grévistes ont-ils élu une commission de négociation ?

Le 12 avril, réunis en assemblée générale à l’appel de l’ensemble des syndicats, les salariés votent quasiment à l’unanimité des présents (seulement 11 contre, sur quelque 300 salariés) une grève illimitée à compter du 17 avril, soit cinq jours plus tard, de façon à laisser le temps à la direction de répondre à leur demande de négociation.

Dès le 13 avril, les syndicats FO et CFTC –les deux autres syndicats (CFDT et CGT) s’étant désolidarisés de la grève– transmettent à la direction et à l’ensemble du personnel de premières bases de négociation rédigées à partir de la discussion en assemblée générale.

Le 17 avril, sans réponse de la direction et constatant la défection de deux de leurs syndicats, les grévistes de nouveau réunis en assemblée générale, élaborent et adoptent un cahier revendicatif de quatre pages et élisent une « commission de négociation » composée des responsables FO, CFTC et d’adhérents de la CGT.

Depuis, la direction refuse de négocier avec cette commission au prétexte que les syndicats ont été exclus et que les accords d’entreprise ne peuvent être négociés qu’avec ces derniers, ce à quoi les membres de la commission, dont les responsables syndicaux FO et CFTC, et leurs avocats rétorquent notamment qu’il ne s’agit pas de négocier et de signer un accord d’entreprise, mais un protocole de fin de grève.

Une première discussion entre toutes les parties en présence du médiateur est prévue le 20 juin

La commission de négociation a d’ailleurs remis un projet de texte extrêmement détaillé à la direction le 4 juin dernier, comme base de négociation qui commence par rappeler que, sans avoir la même valeur juridique qu’un accord d’entreprise classique et traditionnel puisque étant conclu exclusivement avec les salariés élus par les grévistes et non par les organisations syndicales, il n’en constituera pas moins un engagement formel de ses signataires , dont la volonté est de mettre fin au conflit qui dure depuis le 17 avril 2018.

Mais la direction s’est obstinée à refuser de négocier à partir des revendications contenues dans le document de la commission élue par les grévistes, déclarant notamment que celles-ci ne se justifient pas, ni ce mouvement de grève ou encore que ces revendications n’ont aucune base objective et qu’elle n’a aucune contre- proposition à faire

Aujourd’hui, comme l’expliquent la déléguée syndicale FO Manuela Dos Santos et Vincent Silleto, secrétaire du syndicat FO Banques de Paris, les salariés en grève sont soulagés de la présence d’un médiateur dont ils espèrent qu’elle empêchera désormais la direction et les syndicats opposés à la grève de déformer leurs propos.

Des rendez-vous bilatéraux auront lieu d’ici mardi 19 juin entre le médiateur et les différentes parties et une première réunion plénière devrait se tenir mercredi 20 juin. En attendant, la grève continue.

Evelyne Salamero Ex-Journaliste à L’inFO militante

FEC FO Employés et Cadres

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