Augmenter les salaires chez Vuitton, c’est pas du luxe

Portrait par Nadia Djabali

Jean-Marc Damelincourt (à gauche), et Fabrice Giracasa militants FO chez Louis Vuitton. Photographie : F. Blanc (CC BY-NC 2.0)

La direction des ateliers Vuitton d’Asnières leur a « mis la misère » lorsqu’il y a quatre ans ils ont ouvert la section syndicale FO. Jean-Marc Damelincourt, représentant syndical et Fabrice Giracasa, délégué syndical central et représentant syndical au comité central d’entreprise, sont déterminés à obtenir des augmentations pour des salaires qui ont du mal à décoller malgré les bénéfices record enregistrés par le leader mondial du luxe.

30 % de représentativité, c’est le score que Jean-Marc Damelincourt et Fabrice Giracasa ont obtenu lorsqu’il y a quatre ans, les deux hommes ont présenté une liste FO dans l’atelier de maroquinerie de luxe de Louis Vuitton à Asnières (92). On a ouvert FO parce que c’était le seul moyen pour nous d’aller négocier les salaires, se souvient Jean-Marc.

Dès la première réunion avec la direction, les deux hommes annoncent la couleur : On leur a dit : Vous pouvez remballer les croissants et les gâteaux. On n’est pas dans un salon de thé, on est là pour revendiquer des choses. Si vous ne nous écoutez pas, c’est simple : la prochaine fois, c’est débrayage. Fabrice ajoute le sourire aux lèvres : C’est la première fois qu’un syndicat leur parlait comme ça. Un débrayage aura toutefois été nécessaire pour que la direction les prenne au sérieux.

Les drapeaux FO sur la bagnole

On a quand même réussi à faire sortir des sites en province, précise Jean-Marc, pas peu fier de l’exploit. Fabrice reprend la parole et raconte : On est parti jusqu’à Sainte Florence en Vendée pour distribuer des tracts. On a fait 600 bornes dans la journée. On a accroché les drapeaux FO sur la bagnole. Ensuite on est rentré le soir pour faire une distribution à Asnières. Et les gens ont débrayé. Cela ne s’était pas vu dans la maison depuis 15 ans. La presse a parlé de débrayage historique lorsqu’en juillet 2017, les salariés d’Asnières et des sites de province ont arrêté le travail. On essaie de faire comprendre à nos collègues qu’ils y arriveront que s’ils sont solidaires, continue Jean-Marc.

Les deux syndicalistes ont la niaque, ce qui n’empêche pas les grands moments de doute. Quand vous sortez avec un drapeau et que vous êtes tout seul sur le trottoir, commence Jean-Marc Damelincourt. Et vous vous dites merde, il est 7 heures, il n’y a personne dehors, et que vous commencez à vous inquiéter, et qu’en fin de compte vous voyez tout le monde sortir à 8 heures moins cinq et que presque 80 % de l’usine est dehors… ouf, vous soufflez. Les deux militants sont d’accord : sans les ouvriers, ils ne sont rien. Sans eux, ils n’auraient pas été élus. Sans eux pas de débrayages. Ce sont les ouvriers qui font la force, aime répéter Jean-Marc.

Des salaires insuffisants

La maroquinerie Louis Vuitton, c’est près de 3 000 salariés en France, répartis sur six sites. L’atelier d’Asnières fondé en 1854 emploie environ 200 personnes qui fabriquent des malles et des pièces uniques. Les fameuses « commandes spéciales » réservées à une clientèle fortunée. Ils sortent quand même des sacs en croco à 25 000 euros et je ne vous donne pas les prix des malles, s’exclame Fabrice.

Pourtant les salaires, eux, sont aux antipodes de ces standards. Un peu plus de 1 250 euros pour un jeune qui sort de formation et 2 000 euros net après trente ans d’ancienneté, alors que LVMH a réalisé 37,6 milliards de chiffre d’affaires en 2016. C’est plus que le budget de l’armée française pour un an, s’indigne Jean-Marc. À un moment, il faudra qu’ils apprennent un petit peu à partager.

Jean-Marc et Fabrice trouvent justifié qu’après trente ans d’ancienneté les salaires atteignent 2 500 euros net. Parce qu’arrivés à la retraite, les gens vont manger des cailloux. Pourquoi il y a autant de seniors qui continue de bosser ? Parce qu’ils n’ont pas le choix. Ils ont 66 ans, 67 ans, ils ne sont pas là par plaisir. Il y en a même qui ont rappelé pour venir bosser.

Trente ans de formation

Les deux quinquagénaires arpentent les allées de l’atelier d’Asnières depuis 30 ans. Avant d’entrer dans la Maison en 1989, Jean-Marc, travaillait chez Carrefour. Fabrice, lui, était à l’origine menuisier d’agencement d’intérieur avant de pousser la porte de Louis Vuitton en 1988. Ils ont tout appris sur le tas et Trente ans de formation, je peux vous dire que c’est long, signale Jean-Marc. Nous, on a évolué, on est passé de la toile aux cuirs exotiques, mais la boîte n’a pas bougé par rapport à ses salariés. Il faut peut-être passer les salariés à la case supérieure. Il faut les rémunérer pour ce qu’ils sont. Quand on dit à l’extérieur qu’un mec qui a trente ans de boîte gagne 2 000 euros, les gens n’imaginent pas ça chez Louis Vuitton.

C’est une belle boîte, reconnaît Fabrice. Point de vue confort, il n’y a pas à se plaindre. Ce qui ne va pas chez Vuitton, c’est les salaires. Il y a quand même un savoir-faire qu’il faut mettre en avant et à un moment le savoir-faire, ça se paye.

Ancienneté gelée

Les négociations annuelles sur les salaires et le temps de travail sont arrivées à terme chez Louis Vuitton. Trois syndicats ont signé, sauf nous, prévient d’emblée Jean-Marc. On ne s’y retrouve pas, en termes de revendications et des demandes des salariés. Fabrice poursuit : Il y a vingt ans, on nous a gelé l’ancienneté et on a perdu plus de 10 % de notre salaire. Donc nous, ce que nous voulons c’est la revalorisation des salaires et ce qui a été signé est loin de ce qu’on revendique.

Les deux hommes insistent : ils ne sont pas dans le conflit. La négociation est une des composantes de l’action syndicale. Mais le problème des négociations, tempère Jean-Marc, c’est que les dirigeants créent un schéma et on doit le suivre et s’adapter. Ce n’est plus une négociation, c’est une imposition. C’est dommage, parce que ce n’est pas une vraie discussion. Ils sont à l’écoute, mais ils font ce qu’ils veulent.

Les prochaines élections auront lieu en juin prochain, elles ont été repoussées de six mois à cause des ordonnances. Mais on va avoir du monde sur la liste… On essaie de mettre des jeunes. Nous dans dix ans, on sera partis. C’est à eux de prendre la relève.

Nadia Djabali Journaliste à L’inFO militante