Passé le début 2012, les secteurs « ennemis » de la finance ont su trouver auprès du gouvernement une oreille attentive et même, parfois, une protection bienveillante. Les exemples de la loi de séparation bancaire et celui de la taxe européenne sur les transactions financières en sont l’illustration manifeste.
Ces derniers temps, nous avons assisté à des discours contradictoires de la part de l’exécutif français : offensif contre la finance Au niveau national et activement bienveillant quand il s’agit d’éviter de réglementer et taxer au niveau européen.
1/ Séparation des activités bancaires :
Avec la loi de « séparation et de régulation des activités bancaires » votée en juillet 2013 [1], l’ambition affichée du gouvernement qui était de protéger les dépôts des clients en opérant une distinction entre les activités bancaires traditionnelles qui continueraient à bénéficier de la garantie de l’État, de celles dites de « marché », purement spéculatives et donc non garanties, avait déjà vite tourné court.
Globalement, on ne peut que regretter l’absence totale de mesures destinées à obliger les banques à renouer avec les fondements de leur activité originelle : le soutien à l’économie réelle. Pour Force Ouvrière, il fallait obliger les banques et sociétés financières à revenir à leur vrai métier : celui de la banque traditionnelle. C’est elle qui, grâce à ses prêts aux particuliers, aux artisans, aux entreprises, à l’économie réelle, sert de « carburant » aux investissements et à la consommation, vecteurs de croissance. Les salariés du secteur veulent revenir à leur métier traditionnel de conseiller financier et ne plus être poussés à n’être que des vendeurs du « produit financier ou spéculatif du jour ».
Pour Force Ouvrière, si certains aspects de cette loi de juillet 2013 vont dans le bon sens, celle-ci doit être la première pierre d’une réforme bancaire beaucoup plus large et plus contraignante. Pour toutes ces raisons, Force Ouvrière revendique que cette loi soit complétée afin d’éviter que la crise inancière majeure de 2008 ne se reproduise.
En décidant, sur les conseils avisés des banquiers – qui n’ont cessé depuis mai 2012 d’arpenter les couloirs de Bercy, de Matignon et de l’Elysée de distinguer les activités « utiles à l’économie » garanties par l’État de celles qui ne le sont pas, et en retenant la quasi-intégralité des activités bancaires comme activités « utiles », le gouvernement a finalement décidé de faire une réforme qui ne change presque rien à la situation actuelle.
C’est en effet moins du 2% du produit net bancaire qui fera l’objet d’une filialisation. Ainsi, plus de 98% des activités bancaires continueront à bénéficier de la garantie publique, c’est-à-dire de la garantie d’être renflouées en cas de difficultés [2].
Avant d’être définitivement adopté en juillet 2013, le projet de loi du gouvernement avait pourtant fait un long marathon législatif de six mois (le projet a été déposé dès le mois de décembre 2012) au cours duquel de nombreuses critiques se sont exprimées.
Parmi celles-ci, le collectif d’une soixantaine d’économistes jugeant très sévèrement la portée réelle du texte, plus à même selon lui d’alimenter l’activité spéculative des banques que de la freiner. De même, dans une tribune commune parue en janvier 2013, des parlementaires de la majorité avaient appelé à un renforcement du projet de loi dans le sens d’une filialisation accrue des activités de marché et d’une véritable séparation juridique des activités.
Au final, la députée rapporteuse du projet de loi à l’Assemblée, avait ainsi estimé qu’il faudrait à l’avenir construire « d’autres étages à la tour de Babel de la régulation financière ».
Cette occasion manquée est particulièrement dommageable alors que la France compte de véritables géants bancaires, parmi les plus grandes banques au monde en termes d’actifs détenus. La BNP, la Société Générale et le Crédit Agricole ont un bilan cumulé égal à trois fois le PIB français (le bilan de la BNP équivaut à lui seul au PIB français, soit un peu plus de 2 000 Mds).
En cas de nouvelle crise, la France pourrait-elle dans cette situation avoir d’autres choix que de les recapitaliser [3] ? Naturellement non.
Mais à quel prix pour les contribuables et la situation économique et sociale nationale [4] ?
Même la responsable du Fond Monétaire International précisait récemment lors d’une conférence à Londres, que la planète restait assise sur plusieurs bombes à retardement parmi lesquelles la taille de certains établissements bancaires « too big too fail », c’est-à-dire des établissements devenus trop gros pour que les pouvoirs publics les laissent faire faillite.
Pour le FMI, globalement très sévère à l’égard du secteur bancaire et financier international, les banques ont non seulement œuvré au ralentissement des réformes qui les touchent mais « le comportement du secteur financier n’a pas fondamentalement changé dans un certain nombre de ses aspects depuis la crise » [5]. Quelle surprise…
Un diagnostic confirmé par un rapport récent remis au Conseil européen du risque systémique selon lequel le secteur bancaire européen est beaucoup trop gros sans apporter par ailleurs de bénéfice à l’économie réelle (et donc à l’emploi notamment).
Dans ce contexte, l’opposition récente du gouvernement français au projet européen de séparation des banques, qui a précisément pour but de réduire la taille de ces mastodontes bancaires est inadmissible.
Etonnement, ce projet de texte européen est beaucoup plus ambitieux que la loi de séparation déjà votée en France [6] : la position des autorités françaises donne l’impression d’une forme de servilité coupable des pouvoirs publics au lobby bancaire français qui, sur ce dossier, a fait front commun avec le Medef et « Paris Europlace », l’association de défense des intérêts des acteurs de la place financière de Paris. Il est très vraisemblable que la France, épaulée sur ce dossier par l’Allemagne, obtiendra l’enterrement du projet européen de séparation des activités bancaires.
Pour défendre son projet, le commissaire européen chargé des services financiers a fait valoir que ce qui avait cassé la croissance et la confiance « n’est pas l’excès de règles, c’est la spéculation, l’opacité de certaines transactions, le risque de faillite désordonnée qu’on demande au contribuable de payer, sans parler d’un certain nombre de manipulations ». [7]
Et de répondre aux critiques particulièrement virulentes de l’actuel gouverneur de la Banque de France : « ce que nous faisons précisément c’est de donner aux superviseurs le pouvoir d’imposer la filialisation de banques trop grosses pour faire faillite, trop complexes pour être résolues sans crise systémique et trop chères à sauver avec des fonds publics, lorsque ces banques prennent des risques excessifs ».
Ainsi, sur ce sujet, le FMI et la Commission européenne se présentent comme plus régulateurs et règlementaires que la France…
2/ Taxe sur les transactions financières : la France en porte parole des lobbys financiers
Le revirement de la France en matière de taxe européenne sur les transactions financières, passée tour à tour d’une position de leader en juin 2012 à celle d’opposant en février 2014, est une autre illustration de l’intensité du lobbying du secteur bancaire en France et de la qualité de l’écoute dont il bénéficie à la fois de la part du gouvernement mais également de celle du gouverneur de la Banque de France, véritable porte-parole, pour de nombreux observateurs, du lobby bancaire français [8].
Initiatrice en juin 2012 d’une coopération renforcée avec dix autres membres de l’Union européenne pour la mise en place d’une taxe européenne sur les transactions financières (TTF), la France a finalement estimé en février dernier que la proposition de la Commission était trop ambitieuse, trop « excessive ».
En jeu, le périmètre de l’assiette taxable que la France a voulu, sur le modèle de la taxe française qui existe déjà, très étroit, contrairement à la proposition de la Commission d’un périmètre large englobant tous les instruments financiers (actions, obligations, produits dérivés, trading à haute fréquence…) – une proposition acceptée par les dix autres membres de la coopération renforcée.
Alors qu’une taxation sur une base large (et avec des taux très réduits) aurait pu avoir un effet réel sur la spéculation financière et dégager des revenus très importants, de l’ordre de 34 Mds dans les onze pays volontaires, l’assiette de la future taxe européenne dont la mise en œuvre devrait intervenir d’ici 2016 sera, comme la France l’a souhaitée, limitée aux seules actions [9].
Elle devrait donc générer 10 fois moins (entre 3 et 4 Mds), sans avoir aucun effet sur le volume de la spéculation financière composé à 90% de produits dérivés !
Selon de nombreux experts, le gouvernement français porte une lourde responsabilité dans le caractère très minimaliste de la future taxe européenne sur les transactions financières qui n’a aucune chance à l’avenir de s’étendre à d’autres actifs financiers.
3/ Titrisation : le retour en grâce
Dans le même temps, le marché de la titrisation, c’est-à-dire le vecteur par lequel la crise immobilière américaine s’est généralisée en une crise financière internationale (cf. encadré ci-dessous), est en passe d’obtenir l’assouplissement de son cadre réglementaire qui s’était durci depuis la crise financière – via en particulier les nouvelles normes de Bâle 3.
La technique de la titrisation consiste à transformer des actifs bancaires non négociables ou peu « liquides » comme les crédits immobiliers par exemple, en titres financiers liquides et donc facilement revendables sur les marchés financiers.
Après avoir subi quelques transformations, sorte de mise en beauté où ils sont découpés en tranches puis associés avec d’autres tranches de crédits de nature différente (d’où le terme de produits structurés), les actifs deviennent des Asset Backed Securities, c’est-à-dire des titres appartenant à la grande famille des « titres adossés à des actifs » qui forment des millefeuilles de crédits, aux caractéristiques de risque et de rendement différentes et qui sont ensuite revendus à un grand nombre d’investisseurs de nature différente (banques d’affaires, banques commerciales, assureurs, investisseurs institutionnels et autres fonds spéculatifs comme les hedge funds).
La titrisation présente deux avantages fondamentaux pour le système bancaire : celui de sortir de son bilan les crédits accordés, ce qui signifie ne plus en assumer le risque intégral puisque ce dernier est supporté par l’ensemble des destinataires de ces titres. Celui ensuite de contourner la sacro-sainte règle qui, depuis la crise 1929, impose aux banques de détenir en fonds propres un montant proportionnel aux crédits accordés, en d’autres termes, de détenir un matelas de sécurité pour chaque risque pris.
Ce faisant, la responsabilité de la titrisation dans la crise est double. Cette technique a tout d’abord favorisé de la part des banques des prises de risque excessives puisqu’elles n’étaient plus la gestionnaire finale des risques pris. Elle a par ailleurs relié entre eux tous les acteurs financiers, acheteurs de titres titrisés, par une « pelote de risques » qui, à la faveur de l’éclatement de la crise, s’est avérée indémêlable : aucun acteur n’était en mesure de savoir exactement qui devait de l’argent à qui mais tous les acteurs financiers se sont soupçonnés mutuellement de déceler dans leurs bilans des pertes potentielles gigantesques. C’est dans ce climat de défiance généralisée que les premières interventions publiques de sauvetage des banques ont été mise en œuvre dès l’automne 2007.
Ce revirement inquiétant de la part des autorités de supervision rend compte du lent retour en grâce de la titrisation qui a débuté dès 2011 et au cours duquel ses principaux acteurs ont convaincu les autorités (banques centrales, Comité de Bale, Commission européenne) de la nécessité de redynamiser le marché de la titrisation pour favoriser le financement de l’économie, et notamment celui des PME. De plus, ce retour participe d’un mouvement plus large, non moins inquiétant, en faveur de la « désintermédiation bancaire », c’est-à-dire au profit du développement du financement des entreprises par les marchés financiers [10].
Oubliant donc la responsabilité de la titrisation dans la crise des subprimes, la Commission européenne a présenté un plan la réhabilitant, quand, de leur côté, la BCE et la Banque d’Angleterre ont proposé la création d’une sorte de label de « bonne titrisation » pouvant bénéficier à ce titre d’un traitement réglementaire assoupli : il s’agirait de titres adossés à des prêts hypothécaires, à des prêts à la consommation, à des prêts accordés à des PME ou encore à « certains » prêts finançant l’immobilier commercial.
L’idée d’une différenciation, au niveau réglementaire, des produits de titrisation selon leur « qualité », jugée notamment au regard de la connaissance de celle de l’actif sur lequel le titre est adossé, semble s’imposer.
Au-delà de la titrisation, il apparait dans les documents de travail de la Commission la volonté inquiétante d’assouplir, alors même qu’elles viennent à peine d’être mise en œuvre [11], les nouvelles normes prudentielles (exigences en fonds propres et liquidités) qui s’imposent aux banques et aux assureurs et qui sont une réponse directe à la crise financière de 2008 [12].
Une communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil (datée de mars 2014) consacrée au financement à long terme de l’économie, annonce ainsi le lancement d’une étude d’évaluation (courant 2014 et 2015) relative à la pertinence des nouvelles normes prudentielles… afin de « régler » et de « corriger » leurs « effets indésirables » sur le financement de l’économie.
Ces trois sujets rappellent le poids du secteur bancaire sur la constitution des politiques économiques, aux niveaux européens et des États. Ils montrent que les leçons des crises récentes ne sont toujours pas tirées et que les marchés financiers poursuivent, efficacement, leur destruction des moindres digues régulatrices et réglementaires.
Cela doit renforcer nos revendications en la matière, à tous les niveaux.
Achevé de rédiger le 18 juin 2014